Autorité parentale, réseaux sociaux et publication par le parent séparé de photographies de son enfant.

« La publication de photographies du quotidien de son enfant sur Facebook, Instagram, etc. est un acte non usuel nécessitant l’accord des deux parents.

Facebook, Instagram, Twitter, les réseaux sociaux font aujourd’hui partie de notre quotidien. Beaucoup y partage des photographies de vacances, vêtements, mets culinaires, évènements, concerts, mais aussi les instants passés avec leurs enfants.

Publier des photographies du quotidien de ses enfants sur les réseaux sociaux est en effet devenu une pratique courante, à tel point qu’on lui a donné un nom, le « sharenting ». Cette expression anglo-saxonne associe deux mots, « sharing » qui signifie « partage » et « parenting » qui renvoie à l’adjectif « parental ».

Cette pratique peut sembler anodine, mais il convient de se demander si les parents séparés qui postent ainsi des photographies de leurs enfants sur les réseaux sociaux peuvent se voir reprocher de tels actes.

1. L’interdiction de publier des photographies du quotidien de son enfant sur les réseaux sociaux sans l’autorisation de l’autre parent.
1.1. Une demande en ce sens a été formulée par une mère dans le cadre d’une procédure de divorce devant la Cour d’appel de Paris. En l’espèce, le père de famille avait publié sur son compte Facebook plusieurs photographies de ses enfants, âgés au jour du jugement de 9 et 6 ans.

Dans un arrêt du 9 février 2017, la Cour d’appel de Paris a fait droit à la demande de la mère et a « interdit à chacun des parents de diffuser des photographies des enfants sur tous supports sans l’accord de l’autre parent ».

La Cour d’appel de Paris précise qu’une telle interdiction s’impose aux fins de « respecter l’exercice conjoint de l’autorité parentale qui nécessite l’accord des deux parents concernant les décisions à prendre dans l’intérêt de l’enfant ».

Sans s’ériger en autorité dictant l’éducation que les parents doivent donner à leurs enfants, la Cour d’appel de Paris paraît exprimer une certaine méfiance à l’égard des réseaux sociaux et des dangers auxquels ils peuvent exposer les enfants si des photographies d’eux y sont publiées.

Elle s’emploie dès lors à prendre toutes les précautions pour protéger les enfants des éventuelles dérives des réseaux sociaux.

Elle donne donc à une pratique extrêmement fréquente, diffuser une photographie banale de son enfant, une importance toute particulière, en admettant implicitement que le fait pour un parent de diffuser une photographie de son enfant sans l’accord de l’autre parent est contraire à l’intérêt de l’enfant puisque l’arrêt est fondé sur l’article 371-1 du Code civil qui dispose « L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité ».

1.2. L’autorité parentale est en principe exercée par les deux parents en commun jusqu’à la majorité de l’enfant. L’article 373-2 du même code précise que la séparation des parents est sans incidence sur l’exercice de l’autorité parentale.

Autrement dit, même séparés, les parents continuent d’exercer conjointement l’autorité parentale sur leurs enfants. C’est le principe de coparentalité qui est ainsi consacré par le Code civil. Ce principe a pour objet de conférer aux deux parents les mêmes droits quant à l’éducation de leurs enfants, qu’ils vivent en couple ou qu’ils soient séparés. L’objectif poursuivi par la loi parait être de conserver ses deux parents à l’enfant, quelles que soient les crises et les conflits entre eux.

Cependant, l’exercice conjoint de l’autorité parentale ne signifie pas que toutes les décisions concernant l’enfant doivent être prises par les deux parents d’un commun accord puisqu’en pratique, il serait impossible d’imposer aux parents de demander l’accord de l’autre pour effectuer tous les actes qu’implique la vie courante de l’enfant.

En faisant interdiction à chacun des parents de « diffuser des photographies des enfants sur tous supports sans l’accord de l’autre parent », la Cour d’appel de Paris fait donc de la décision de diffuser des photographies de ses enfants, que ce soit sur les réseaux sociaux ou sur un autre support, un acte non usuel nécessitant l’accord des deux parents.

1.3. La Cour d’appel de Versailles avait déjà eu à se prononcer en ce sens. En l’espèce, un père avait demandé à son ex-femme de cesser de publier des photographies de leur enfant âgé de 4 ans sur son compte Facebook et de supprimer les commentaires et photographies déjà publiés relatifs à l’enfant. Les juges Versaillais ont alors fait droit à cette demande en ordonnant à la mère de cesser de publier tout document concernant l’enfant sans autorisation du père et de supprimer tous les commentaires et photographies de l’enfant déjà publiés sur Facebook.

Pour parvenir à une telle solution, la Cour d’appel de Versailles a retenu que « la publication de photographies de l’enfant et de commentaires relatifs à celui-ci sur le site Facebook ne constitue pas un acte usuel mais nécessite l’accord des deux parents ».

Il en résulte que pour assurer l’effectivité de l’interdiction de publier tout document concernant l’enfant, commentaires ou photographies lorsque le parent désapprouve la publication, il est possible de solliciter devant le Juge aux affaires familiales la cessation de toute publication, ainsi que la suppression, notamment sous astreinte, de tout élément déjà publié sur le fondement de l’autorité parentale et l’intérêt de l’enfant.

1.4. Cette solution se démarque toutefois de la position qu’avait prise la Cour d’appel de Bordeaux dans un arrêt du 4 janvier 2011.

La situation était pourtant strictement identique : une mère demandait à ce que son ex-concubin retire les photographies qu’il avait publiées sur Facebook de leur fille âgée de 6 ans.

Les juges Bordelais ont toutefois rejeté cette demande au motif que « (…) les photographies de l’enfant photographies s’inscrivent dans le cadre de communication personnelle entre amis (photos d’anniversaire de l’enfant) (…) ».

Ainsi, si on s’en tient au raisonnement de la Cour d’appel de Bordeaux, si le parent configure son compte Facebook de manière à ce que les photographies qu’il publie ne puissent être consultées que par ses « amis », il n’aurait pas besoin d’avoir l’accord de l’autre parent pour les publier.

Il faudrait alors, selon cet arrêt, distinguer le cas où les photographies du quotidien de l’enfant sont visibles par un groupe restreint de personnes (acte usuel) et lorsqu’elles sont visibles par tout public, c’est-à-dire par des tiers (acte non usuel).

1.5. Le Code civil fait en effet une distinction entre les actes usuels et les actes non usuels. Seuls les deuxièmes requièrent l’accord des deux parents.

1.5.1. Les actes usuels sont des actes de faible gravité, de la vie quotidienne. D’après la doctrine, l’acte non usuel est celui qui s’inscrit dans la continuité de la vie de l’enfant et n’engage pas son avenir.

L’article 372-2 du Code civil pose une présomption d’accord en cas d’accomplissement par un parent seul d’un tel acte. Autrement dit, si un parent décide seul, d’accomplir un acte usuel relatif à l’enfant, l’autre parent sera présumé avoir donné son accord.

Cependant, cet article précise que la présomption d’accord ne s’applique qu’à l’égard de tiers de bonne foi, ce qui signifie que si les tiers sont informés du désaccord qui existe entre les parents, la présomption d’accord est renversée et l’acte ne pourra pas être accompli.

Ont notamment été considérés par la jurisprudence, comme des actes usuels :

l’accomplissement de démarches administratives ;
la réinscription dans un établissement scolaire ou l’autorisation d’effectuer des sorties scolaires, l’établissement d’un passeport pour l’enfant mineur;
des consultations ponctuelles et d’une durée limitée chez un psychologue constituent
1.5.2. Les actes non usuels, nécessitent, quant à eux, l’accord systématique des deux parents, en raison de leur gravité ou de leur caractère inhabituel. Un parent ne peut pas sans l’autre accomplir de tels actes. Les parents sont donc amenés à trouver un terrain d’entente pour effectuer ces actes. En cas de désaccord persistant entre les parents, c’est au Juge aux affaires familiales qu’il reviendra de prendre la décision d’accomplir tel ou tel acte.

Une proposition de loi non suivie d’effet du 1er avril 2014 avait proposé de définir l’acte non usuel comme étant « L’acte qui rompt avec le passé et engage l’avenir de l’enfant ou qui touche à ses droits fondamentaux ».

Ont notamment été considérés par la jurisprudence, comme des actes non usuels :

la scolarité et l’orientation professionnelle ;
les sorties du territoire national, la religion, la santé, les autorisations de pratiquer des sports dangereux ;
le fait d’adjoindre, à titre d’usage, au nom de l’enfant, le nom de celui des parents qui ne lui a pas transmis le sien, les actes médicaux sur la personne de l’enfant ;
les actions en justice exercées au nom de l’enfant mineur ;
les actes de disposition de nature à appauvrir et à modifier de façon permanente le patrimoine de l’enfant ;
les décisions relatives à l’engagement de frais importants d’inscription de l’enfant dans un établissement privé ;
le changement de nationalité de l’enfant ;
le choix de la religion dans laquelle l’enfant sera éduqué.
2.Quid lorsque le parent séparé ouvre un compte au nom de l’enfant mineur ?
2.1. Il peut également arriver qu’un parent séparé décide, sans l’accord de l’autre, d’ouvrir un compte au nom de son enfant mineur sur un réseau social tel que Facebook.

Même si dans ses conditions générales d’utilisation, Facebook interdirait de créer un compte aux mineurs de moins de 13 ans, il semblerait que ce réseau ne procède à aucune vérification de l’âge de ses utilisateurs et ne demande aucune autorisation des titulaires de l’autorité parentale lors de l’inscription.

Il serait donc en pratique possible pour un parent de créer un compte Facebook au nom de son enfant mineur, sans l’accord de l’autre.

Dans un arrêt de la Cour d’Appel d’Aix-En-Provence du 2 septembre 2014, la question s’est posée de savoir si le parent séparé, qui n’a pas donné son accord à l’ouverture du compte Facebook de son enfant mineur, pouvait en demander la clôture.

En l’espèce, un père avait demandé à ce qu’un compte ouvert au nom de son enfant âgé de 7 ans par sa mère soit supprimé. La mère prétendait que ce compte n’était pas utilisé par l’enfant et avait simplement été créé pour qu’il puisse jouer à des jeux sur sa tablette. Les magistrats Aixois ont toutefois accueilli la demande du père et condamné la mère à clôturer ce compte dans les 10 jours à compter de la signification de l’arrêt et, passé ce délai, sous astreinte.

Cette décision s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence déjà établie, notamment par un arrêt rendu par la Cour d’Appel d’Agen le 16 mai 2013 dans lequel, sans en ordonner la clôture, les juges Agenais avaient considérés que l’ouverture par une mère d’un compte Facebook au nom de sa fille de 10 ans était de nature à la mettre en danger.

2.2. Cependant, ce type de contentieux pourrait théoriquement moins se poser compte tenu de l’adoption, le 14 mai dernier, du projet de loi relatif à la protection des données personnelles.

Dorénavant, une « majorité numérique », c’est-à-dire un âge à partir duquel le mineur n’a plus besoin d’une autorisation parentale pour ouvrir un compte à son nom sur un réseau social, est fixée à 15 ans.

Un mineur de moins de 15 ans devrait donc théoriquement obtenir une autorisation des titulaires de l’autorité parentale pour pouvoir créer un compte Facebook et un parent seul ne pourra pas décider d’ouvrir un compte Facebook à son enfant, en se dispensant de l’accord de l’autre. Reste à voir comment le parent pourra contraindre l’autre en pratique…

3. Quid du droit à l’image de l’enfant et de l’exercice de l’autorité parentale ?
3.1. L’image est un des attributs de la personnalité. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, « Toute personne a sur son image et sur l’utilisation qui en est faite, un droit exclusif et peut s’opposer à sa diffusion sans son autorisation ».

Chacun a droit de s’opposer à l’utilisation ou à la diffusion de son image. L’utilisation ou la diffusion de l’image d’autrui suppose donc son consentement.

Lorsque la personne qui apparait sur l’image est mineure, il est nécessaire de recueillir l’autorisation des titulaires de l’autorité parentale.

Il faut néanmoins s’intéresser à l’articulation entre l’atteinte à l’exercice de l’autorité parentale et l’atteinte au droit à l’image.

3.2. Dans un arrêt du 10 septembre 2013, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a retenu que « le juge aux affaires familiales n’a pas compétence, aux termes des dispositions de l’article L 213-3 du code de l’organisation judiciaire pour statuer sur les actions relatives à la protection de l’image des enfants mineurs ».

En l’espèce, une mère avait demandé à ce que son ex-mari supprime les photographies qu’il avait posté de leurs deux enfants âgés de 10 et 8 ans sur son compte Facebook.

La Cour d’appel d’Aix-en-provence a déclaré que le juge aux affaires familiales était bien incompétent pour statuer sur les demandes de la mère fondées sur le droit à l’image et non sur l’autorité parentale.

Cette solution paraît logique. L’atteinte au droit à l’image est sanctionnée sur le fondement de l’article 9 du Code civil, qui consacre le droit au respect de la vie privée, le Juge aux affaires familiales n’étant pas le Juge du droit commun compétent pour statuer sur le droit à l’image mais sur le respect ou non, de l’exercice conjoint de l’autorité parentale.

3.3. L’atteinte au droit à l’image en tant que telle peut toutefois donner lieu à des sanctions civiles, voire pénales.

Au plan civil, l’atteinte au droit à l’image est sanctionnée des mêmes peines que l’atteinte au respect de la vie privée, soit par l’attribution de dommages et intérêts et/ou par la prescription par le juge de toutes mesures visant à faire cesser l’atteinte.

Si l’image a été prise dans un lieu privé, l’agent s’expose même à des sanctions pénales. L’article 226-1 2° du Code pénal incrimine en effet « le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé ». Les peines ne sont pas négligeables, l’auteur d’une atteinte au droit à l’image étant exposé à une peine d’un an d’emprisonnement et 45.000€ d’amende.

3.4. Mais quid de l’action d’un enfant devenu majeur contre ses parents qui auraient posté des photographies de lui mineur ?

La situation s’est présentée notamment devant les Tribunaux étrangers, notamment en Autriche et en Italie.

En septembre 2016, une jeune femme Autrichienne de 18 ans a déposé plainte contre ses parents et elle leur a reproché d’avoir attenté à sa vie privée et à son droit à l’image en publiant près de 500 photographies d’elle sur Facebook alors qu’elle était encore mineure.

De même, en janvier 2018 le Tribunal civil de Rome a ordonné à une mère de retirer les photographies qu’elle avait publiées de son fils enfant sur Facebook. Celle-ci a en outre été condamnée à devoir verser 10.000 € de dommages et intérêts si elle ne s’exécute pas ou si elle publie de nouvelles photographies.

A notre connaissance, la situation ne s’est pas encore présentée en France, les générations exposées ainsi sur les réseaux sociaux étant peut être encore trop jeunes pour pouvoir intenter une telle action en justice contre leurs parents, sous réserve du délai de prescription.

Reste à voir de quoi l’avenir sera fait ».

Par Sophia Binet, Avocat.- mardi 19 juin 2018
Publié sur le site www.villagedelajustice.com

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